Où en sommes-nous sur le front du climat ?

Inutile de revenir sur les récents évènements climatiques extrêmes (incendies au Canada, fonte accélérée des calottes glaciaires et glaciers, surchauffe des océans, canicules plus longues, plus intenses, plus fréquentes, plus précoces et plus tardives, entrainant régulièrement des records absolus de températures, etc…). Ceux qui ont connu le climat du milieu du siècle dernier doivent bien ressentir que nous ne vivons plus dans le même climat que celui de leur jeunesse. Et ils n’ont pas tort : Copernicus, le programme d’observation de la Terre de l’Union européenne, a établi que les trois mois d’été 2023 (Juin, Juillet et Aout) ont été les plus chauds jamais enregistrés, à 0,66 °C au-dessus des moyennes de la période 1991-2020. En extrapolant à partir de l’analyse de carottes glaciaires, Copernicus constate même que ces trois mois d’été 2023 « sont les plus chauds depuis environ 120 000 ans, c’est-à-dire pratiquement depuis le début de l’histoire de l’humanité”.


Le climat change… Est-ce grave, docteur ?

En réalité, la communauté scientifique est embarrassée pour définir avec précision les conséquences du dérèglement climatique. L’activité humaine, en libérant dans l’atmosphère en un siècle environ les quantités faramineuses de carbone accumulées dans le sol pendant des millénaires, déstabilise violemment l’écosystème Terre. Les variations qu’on connaissait jusqu’alors (activité solaire, éruption volcanique, El Niño…) autour d’un point d’équilibre stable sont relativement bien modélisées par les scientifiques. Mais quand on sort de cette zone connue, la science est beaucoup moins sûre d’elle par manque de référence à des phénomènes comparables et par méconnaissance des phénomènes sous-jacents qui peuvent entrer en jeu, les fameuses boucles de rétroaction positive qui risquent d’enclencher des phénomènes d’auto-alimentation. Plus on continue à saturer l’atmosphère de composés carbonés, plus le risque de sortir le climat terrestre de sa zone d’équilibre augmente. En d’autres termes moins édulcorés, c’est bien le risque de rendre à terme la terre inhabitable qui est en jeu. La communication autour du climat (à commencer par celle du GIEC et de l’ONU) a certainement été trop longtemps pudique sur les risques encourus. Les scientifiques y développent de nombreux scénarios, en se focalisant sur des scénarios médians, qui paraissent plus ou moins maîtrisables pour être politiquement acceptables 1. Mais l’analyse de risque n’est pas médiatisée, tout juste apparait-elle comme des écarts au scénario médian. Or, c’est bien le scénario risqué, celui qui a peut-être une chance sur dix, ou une chance sur 100 de se réaliser, qui devrait nous mobiliser collectivement. A nous d’ailleurs de fixer quel est le niveau de risque que nous sommes prêts à accepter. On peut reprendre ici la célèbre analogie avec le transport aérien : quand il s’agit de prendre un avion, à partir de quel niveau de risque de crash accepterait-on d’y monter : 1/10, 1/100, moins encore certainement… Pourquoi sommes-nous moins sensibles au risque quand il s’agit du climat que lorsqu’il s’agit de prendre l’avion ? Sans doute par méconnaissance, ou par une sorte d’habitude à voir la Nature s’autoréguler depuis l’histoire de l’humanité autour d’un équilibre relativement stable (« après la pluie, le beau temps !»). Aussi sûrement parce que le risque climat ne se manifestera pleinement que dans quelques générations.

Pourtant, les faits sont têtus et les choses malheureusement s’accélèrent tant le système semble s’emballer : les scientifiques ont dû revoir à la hausse leur modèle de prédiction suite à la sévérité des canicules 2022 et 2023 en Europe. De même, l’évolution des températures marines et des calottes polaires ont surpris par leur ampleur, comme le rappelle Stéphane Foucart 2 dans son article du Monde le 10/09/2023 3. Et un nouveau record a été franchi ce vendredi 17 novembre, puisque l’observatoire européen Copernicus a indiqué que pour la première fois la température moyenne mondiale a été de deux degrés supérieurs à celle de la moyenne saisonnière à l’ère préindustrielle. Le consensus de l’accord de Paris prévoyait une trajectoire d’augmentation des températures au plus proche de 1.5°C, et au maximum 2°C.


Que fait-on pour changer la trajectoire ?

Hélas pas grand-chose qui soit à la hauteur des changements qu’il faudrait opérer à l’échelle de l’humanité, seule échelle pertinente au regard des phénomènes en jeu.

Malgré l’exceptionnel dynamisme des technologies renouvelables (Électricité Solaire et Éolienne), seul vecteur décarboné en forte croissance 4, la part des énergies fossiles dans le bilan énergétique mondial reste stable, voire augmente. En 2022, la demande de pétrole et de charbon a augmenté respectivement de +3,2% et +0,6%, alors que le gaz naturel (énergie fossile dont la combustion est la moins contributrice à l’effet de serre) était en repli de 3,1%.

Source: The Energy Institute

Dans sa dernière communication le 14/11/2023 en préparation de la 28ème Conférence de l’ONU pour le climat qui s’ouvrira le 30/11/2023, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, pour qui « l’effondrement climatique a commencé», a sonné l’alarme : « Le monde ne parvient pas à maîtriser la crise climatique […] et n’est pas du tout en ligne pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius et éviter la pire des catastrophes climatiques. »

Il indique plus précisément que « selon les plans nationaux actuels, les émissions mondiales de gaz à effet de serre devraient augmenter de 9 % d’ici à 2030, par rapport aux niveaux de 2010. Pourtant, les données scientifiques sont claires : les émissions doivent diminuer de 45 % d’ici la fin de la décennie par rapport aux niveaux de 2010 pour atteindre l’objectif de limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 degré. »

L’ONU conclut son communiqué en ces mots : « La politique actuelle des petits pas ne suffira pas.  L’heure est venue d’un big bang de l’ambition climatique dans chaque pays, chaque ville et chaque secteur. »


Alors, à quand le sursaut ?

Quand voudra-t-on collectivement prendre la mesure du problème et agir tant qu’il en est temps ? Quand accepterons-nous de revisiter nos modes de vie d’occidentaux pour nous délaisser du superflu et réinventer une façon d’être au monde plus respectueuse de l’environnement et espérer ainsi préserver à terme les services essentiels (Santé, Éducation, Nourriture, Habitat) ?

Les politiques au pouvoir ne parviennent pas à porter une vision suffisamment ambitieuse sur le sujet. Ne sont-ils pas conscients des enjeux ? Pourquoi esquiver le problème plutôt qu’affronter la réalité ?  

Jean Leymarie donne sur France Culture 5 son analyse de cette situation paradoxale: « C’est sans doute parce que c’est difficile, impopulaire, et parce que la tâche est immense. L’opinion est à cran. Toutes les crises se conjuguent : la guerre, des déplacements de population […], l’inflation, la dette, les services publics en berne. Et au milieu, la catastrophe climatique, comme l’éléphant au milieu de la pièce. L’éléphant grossit à vue d’œil. Alors que la réalité du chaos climatique frappe les communautés du monde entier, […] le fossé entre les besoins et l’action est plus menaçant que jamais. »                                                                    

Il ajoute en conclusion cette citation de Charles Peguy : « Il faut dire ce que l’on voit. Surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit ».

Il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir…

Oser avoir le courage et la lucidité de voir la réalité en face, d’en tirer toutes les conséquences, voilà l’enjeux des prochains mois pour espérer enfin remettre notre trajectoire climatique dans les rails de la stabilité et s’écarter des perspectives périlleuses et incontrôlables qui se dessinent sous nos yeux.

Frédéric Pocheau

(1) N’oublions pas que la gouvernance du GIEC est sous contrôle politique ; les textes de synthèse doivent être validés par les représentants politiques des États (retour)

(2) Le Monde du 10/09/2023 , Stéphane Foucart : « L’aggravation récente des effets du réchauffement coïncide, et c’est une autre cause de sidération, avec un retour apparent du climato-scepticisme »
https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/10/l-aggravation-recente-des-effets-du-rechauffement-coincide-et-c-est-une-autre-cause-de-sideration-avec-un-retour-apparent-du-climatoscepticisme_6188661_3232.html (retour)

(3) « L’envolée des températures de l’Atlantique Nord, le défaut de reconstitution des glaces de mer autour de l’Antarctique, notamment, ont suscité chez nombre d’observateurs une terreur teintée d’incrédulité. Au premier coup d’œil sur les courbes de températures de l’océan, un chercheur confie avoir eu le réflexe de penser que les radiomètres du système de surveillance par satellite Copernicus étaient peut-être défectueux. Ce n’était – hélas – pas le cas. » (retour)

(4) Contrairement au nucléaire et à l’hydroélectricité qui sont en stagnation ou en repli relatif (retour)

(5) France Culture – Billet politique de Jean Leymarie du 08/09/2023
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-billet-politique/le-billet-politique-du-vendredi-08-septembre-2023-9896930 ( retour)

 

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