Et si l’on retenait des Correspondances de Flaubert ce bel enseignement : « La vie est un éternel problème et l’histoire aussi […]. Ainsi chercher la meilleure des religions, ou le meilleur des gouvernements, me semble une folie niaise. Le meilleur pour moi, c’est celui qui agonise, parce qu’il va faire place à un autre. » 1 Alors oui, notre vieux monde est en crise, mais il y a du chinois dans l’écriture de Flaubert qui attend du chaos un avenir fécond. En mandarin, la crise est composée de deux idéogrammes, l’un signifiant le danger, l’autre l’opportunité. Nous voilà sur cette ligne de crête, prêts à glisser de l’un ou de l’autre côté du versant. Aux premiers plans de ce paysage, le décor vertigineux et dégradé de la société d’hyperconsommation et, parmi ses complices, la communication, la publicité vouées aux gémonies d’un nombre grandissant de citoyens et de consommateurs.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Les boomers et les enfants des boomers occidentaux, dont nous faisons partie, ont eu la chance de traverser une période exceptionnelle et favorable. Une période de paix, de prospérité et d’insouciance. Durant tout ce temps, durant les Trente Glorieuses en France, et jusqu’à la fin du XXe siècle, la consommation a été vécue comme une émancipation et un art de vivre que le marketing et la publicité ont parfaitement accompagnés. En cela, cette science marchande a coïncidé avec les attentes de l’époque lorsqu’après des années de guerres et de privation, il a fallu reconstruire et équiper des pays entiers, avec tous les bénéfices d’une période joyeuse et libérée. Le marketing a accompagné le Plan Marshall puis des décennies de croissance économique et de progrès. Tout cela s’incarnait dans Le Salon des Arts Ménagers, dans le tourisme de masse, dans la civilisation des loisirs. L’abondance, à laquelle nous avons tous consenti, s’est construite sur une logique du toujours plus. Plus de biens de consommation, une première puis une seconde ou une troisième voiture, plus de viande à tous les repas, plus de dépenses énergétiques, etc. Nous avons profité d’une dynamique qui nous a permis d’être ce que nous sommes.
Or, c’est cette dynamique qui est contestée aujourd’hui. De toutes parts et pour de multiples raisons : environnementales, sociétales, politiques. Une frange grandissante de la population remet en cause ce mode de vie et la notion de progrès qui lui est associée. Elle n’est pas encore majoritaire, mais les thèmes et les idées infusent dans toutes les catégories. Les attentes des consommateurs rejoignent de plus en plus celles des citoyens et de la législation qui, elle aussi, évolue.
La loi Pacte, votée en mars 2019, donne ainsi une nouvelle définition de l’entreprise qui vient remplacer celle du code Napoléon vieille de plus de 200 ans ! Désormais “La société doit être gérée dans son intérêt propre, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité”.

Nous avons la conviction que les techniques marchandes issues de l’après-guerre ne sont plus opérantes. On ne fera pas du neuf avec du vieux, ni avec des vieux, du reste. Ces changements de paradigme attendus appellent une transformation de nos modes de pensée et d’action et un changement générationnel.
Le marketing n’est pas une maladie honteuse, mais c’est une gourmandise qui a tourné à l’addiction. Il s’est mis au service des entreprises et des marques, pour assouvir et exciter encore davantage nos désirs, dans l’intérêt exclusif des actionnaires, des performances financières et du capitalisme le plus débridé avec son cortège de conséquences et de dérèglements. Le génie est sorti de sa boite. Il est urgent de l’y faire réentrer.

Cela doit nous conduire à en redéfinir les contours. Dans l’intérêt des marques, sous peine de voir disparaître ces agentes actives de l’économie, il est urgent d’intégrer de quoi prendre en compte les performances extra-financières : l’environnement, les ressources humaines, la relation à l’écosystème de l’entreprise. C’est ce que nous appelons le Contributing 2. C’est une très grosse mise à jour de nos logiciels. Elle dépasse les seules questions relatives à l’empreinte carbone de nos activités pour lesquelles de nombreuses démarches sont d’ores et déjà entamées. Elle réécrit le contrat moral qui lie les entreprises à l’ensemble de leurs parties prenantes. Ni moralisatrice, ni lénifiante, sans regret ni nostalgie, elle doit permettre, autour d’un nouvel imaginaire plus frugal, plus inclusif, respectueux des publics, des genres et de leurs nouvelles attentes, de retisser des liens de confiance avec les marques commerciales qui s’engagent dans un chemin de transformations profondes de leurs produits et de leurs écosystèmes.

C’est crucial pour que les générations qui viennent reprennent goût aux métiers de la communication, avec désir, fierté et enthousiasme en laissant toute sa place à la créativité et à la légèreté qui en font le sel.
Et c’est une opportunité à saisir pour que se dessine un nouveau chemin vers lequel convergent la raison et l’économie, l’économie 3 et l’écologie. Et si l’on parvenait à conjuguer la vitalité du tissu industriel et commercial, la création de richesses et d’emplois nouveaux dans un cadre de vie apaisé, respectueux des Hommes et de leur biosphère…

Gilles Deléris

Gilles Deléris dirige une agence de communication et est, avec Denis Gancel, l’auteur de plusieurs ouvrages dont les Lettres d’Adieux au Marketing, éditions Télémaque, 2021.
Il est chavillois depuis près de trente ans et a fait partie de la liste Chaville Écologistes lors du premier tour des élections municipales de 2020.



(1) Correspondance entre Gustave Flaubert et Marie-Sophie Leroyer de Chantepie, 18 mai 1857 (retour au texte)

(2) Le Contributing® est une nouvelle approche stratégique qui permet aux entreprises d’être au rendez-vous des nouvelles attentes des consommateurs et des parties prenantes. Prenant appui sur l’élargissement de la définition de l’entreprise de la loi Pacte, sur les critères ESG (Environmental, Social and corporate Governance ou critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) et les normes RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), le Contributing® relie Sens et Business, en défendant l’idée de croissance responsable et en faisant évoluer les Business Model des entreprises.
Le Contributing® doit aider le marketing à se réinventer en profondeur, en proposant un nouveau contrat de marque qui développe une approche fondée sur le respect, la relation côte à côte, la proximité, la conversation et une plus grande liberté de choix.
Il s’applique à tous les métiers où les marques entrent en jeu, en particulier ceux de la publicité et du design en prônant une approche plus frugale, plus économe, limitant l’empreinte carbone pour consommer moins en consommant mieux
(retour au texte)

(3) Le modèle contributing, Bernard Stiegler, Ars Industralis (retour au texte)

 

Partager sur vos réseaux