La collapsologie est une discipline assez récente qui a été vulgarisée par Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans l’essai Comment tout peut s’effondrer… paru au Seuil en 2015.
À la lecture de cet ouvrage j’ai considéré l’urgence écologique d’un autre œil, et il a sans doute joué un rôle dans mon engagement écologique.

Lorsque j’ai initié cet article j’avais pour but de faire connaître la collapsologie, mais plus je creusais le sujet, plus je revenais à l’écologie. Et plus je revenais à l’écologie, plus je me demandais par quel bout la prendre pour concilier la théorie (et quelle théorie ?) et la pratique.

Je ne prétends pas apporter des réponses, mais simplement exprimer un point de vue, en espérant qu’il chatouille suffisamment pour ouvrir un débat et qui sait, mobiliser un peu.

La collapsologie en quelques mots

La collapsologie est un courant de pensée qui étudie les risques d’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle et s’intéresse à ce qui pourrait lui succéder.
Plus crument, la collapsologie prédit une forme d’effondrement de notre société et tente de fournir des pistes pour bâtir une nouvelle société post-effondrement plus résiliente et plus harmonieuse.

Je vous encourage à lire l’essai cité plus haut ou vous pouvez commencer par l’article Wikipédia qui est un bon point d’entrée, même s’il ne remplace pas cette lecture.

Que penser de la collapsologie ?

Entre ceux qui lui reprochent d’insister uniquement sur le pire, de ne pas être assez radicale, qui lui reprochent son manque de cadre méthodologique, une trop forte dimension spirituelle (collapsosophie) et son manque de confiance dans la résilience de la société, les critiques pleuvent et toutes ne sont pas infondées :

La collapsologie porte dans son nom même la notion d’effondrement, donc de pire, même si son discours est (un peu) plus nuancé.

La collapsologie n’est pas une doctrine politique ni une forme de militantisme, même si elle soutient des actions militantes.

La collapsologie n’est pas une science au sens dur du terme, même si elle a recours aux faits et que son discours est argumenté, notamment dans son évaluation d’un possible effondrement.

Par contre la collapsologie est bien une forme d’idéologie et une doctrine philosophique de l’après.

Mais indépendamment de certains travers, je lui reconnais de véritables mérites :

Elle accrédite la thèse, chiffres à l’appui, que des changements importants liés à la dégradation de notre environnement et à l’épuisement de ressources non renouvelables, sont inéluctables et irréversibles.

La collapsologie prône une approche systémique, ce qui signifie en gros que l’on s’attaque à un sujet tellement complexe que la simple logique ne suffit pas et qu’il faut accepter d’utiliser nos intuitions pour agir sans être certains ni que nos actions soient les meilleures, ni même qu’elles soient efficaces.

Elle a fait le buzz, ce qui n’est pas rien, car elle défend une cause qui a besoin de visibilité. Nous dit-on assez que notre logique de croissance qui ne profite qu’à une partie de l’humanité, de croissance qui s’auto-entretient en suscitant des besoins absurdes, n’est qu’une impasse ?

Et enfin elle nous parle de nous. Or nous avons un problème avec notre environnement et, sauf erreur, le problème n’est pas côté environnement.

Mais la collapsologie, malgré de réels mérites, ne me convainc pas comme doctrine capable de mobiliser la société aujourd’hui. Elle est trop focalisée sur l’après-effondrement, au risque de laisser le présent en jachère.

Vers un futur effondrement ?

Effondrement au sens de changement radical et irréversible ? Assurément, et ce ne sera pas le premier.
Croyez-vous sérieusement qu’il n’y a pas eu de changements violents lorsque les Européens ont débarqué en Amérique du Sud puis du Nord, ou lors du passage de la société préindustrielle la nôtre ? Pensez-vous que notre quotidien ne soit que la continuité tranquille de la société pré-digitale des années 70 ? Amusez-vous à couper Internet et tous les ordinateurs pour voir.
Nous avons vécu et sommes en passe de vivre plusieurs changements radicaux à l’échelle mondiale, sans même parler des guerres de même nom. Et je suis persuadé que les choses ne sont pas près de se calmer.
Le progrès fait rage et nous devons faire avec.

La collapsologie va un peu plus loin car elle dit, à demi-mots, que les transformations à venir pourraient être autrement plus meurtrières que celles que nous avons déjà vécues et surtout que la population mondiale pourrait diminuer drastiquement et durablement.
A-t-elle raison ? Difficile d’avoir des certitudes, mais si l’on accepte de se servir de ses yeux, de son cœur et de quelques neurones, force est de constater que le risque existe.

Sommes-nous capables de changer nos habitudes de consommation pour arrêter d’empoisonner et commencer à préserver les ressources de notre terre finie (qu’il faudrait peut-être désormais appeler terre rabougrie), ou allons-nous pomper les cailloux dans l’espoir qu’il y reste un peu d’eau ou de pétrole ?
Personnellement je tuerais le dernier mammouth pour assurer l’avenir à court terme de mes proches.
Mais cela ne signifie pas que je n’ai, que nous n’ayons aucune marge de manœuvre.

Le vivant commence à subir de sérieux traumatismes (sous-évalués à mon sens, mais c’est une autre histoire) et ce n’est qu’un début.
Est-ce pire que l’épisode volcanique qui a provoqué la fin des dinosaures ? Sans doute pas, mais aujourd’hui les dinosaures c’est nous.

Le dérèglement climatique va provoquer des flux migratoires dont les plus démunis commencent tout juste à faire les frais.

En résumé j’ai l’intime conviction que notre société titubante va tout droit vers un nouvel équilibre difficile à anticiper mais que la route sera accidentée.
Bel oxymore que cet ivrogne titubant qui suit une ligne droite. À moins qu’il ne se contente de dévaler une pente ?

Effondrements ou transformations, d’accord, mais quand ?

Personne ne le sait et personne ne sait si l’événement sera diffus, se déroulera par étapes, impactera des groupes ou finira par mettre notre système à genoux.
Et la question du quand a d’autant moins d’intérêt que cela a sans doute déjà commencé.
Je ne serais pas surpris que dans 1000 ans (je tiens pour peu probable la disparition de l’espèce humaine dans un délai aussi court) les historiens parlent de XXIème siècle comme d’une période charnière :

L’environnement : domestication massive de la terre, c’est-à-dire son artificialisation et la simplification de son écosystème. Après tout la terre n’est-elle pas notre jardin ?

L’informatique : des ordinateurs conçus par d’autres ordinateurs (ce qui est déjà un peu le cas) qui eux-mêmes en conçoivent d’autres et pour finir l’émergence de consciences artificielles. Tentatives de symbiose avec l’homme.

Relations inter-individus : mise en place de zones tampons entre individus allant du simple port d’équipements de distanciation jusqu’à la virtualisation complète des relations, procréation et jeux sexuels compris. Un peu facile en période de Covid, mais allez savoir.

Ce petit dérapage côté science-fiction n’a pas valeur de prophétie, mais tente seulement de vous faire sentir que nous avons sans doute déjà un pied dedans.

Mais alors, à quel saint se vouer ?

Miser sur une prise de conscience collective

Une prise de conscience collective changera nos comportements et certains petits ruisseaux font les grandes rivières. Toute action qui allège la charge que fait peser l’humanité sur son environnement est bonne à prendre, mais cela suffira-t-il ?
Je suis persuadé que non. Entre ceux qui vivent mal et peuvent difficilement vivre moins (et ils sont légions) et entre l’impact très modeste des actions individuelles, le compte n’y est pas.

Une prise de conscience collective est pourtant indispensable, mais à mon sens pour d’autres raisons.

Elle nous permettrait de mandater durablement des politiques qui pourront prendre et tenir des mesures lourdes seules capables d’infléchir notre futur.
Non pas qu’ils se tournent tous les pouces, mais quel est le pouvoir de politiques mandatés par un peuple girouette qui n’a pas encore pris la mesure du problème ? Seuls, peuvent-ils maintenir la cohésion d’une société qui est secouée par des crises sanitaires, économiques et sociales et en plus oser des mesures radicales en matière d’écologie ?
Faute de citoyens avisés, comment pourraient-ils l’être sans verser dans l’autocratie ?

Un changement d’attitude des consommateurs obligerait les entreprises à prendre sérieusement en compte la dimension environnementale.
Aujourd’hui ces entreprises se contentent d’appliquer mécaniquement quelques règles et courent après les certifications et autres satisfecit valorisables commercialement : le label HQE a fait fleurir de si nombreuses ruches sur les toits de Paris que les abeilles ne trouvent plus de quoi se nourrir et pillent les ressources d’autres butineurs, passant du statut déjà peu glorieux d’animaux d’élevage à celui d’espèce invasive.
Aujourd’hui les entreprises les plus performantes sont celles qui chassent les derniers mammouths le plus efficacement.

C’est aussi une façon d’atterrir car nous vivons sur un nuage. Notre pouvoir d’achat, artificiellement gonflé en bradant des ressources et en exploitant une main d’œuvre anonyme, n’est plus qu’un droit égoïste à consommer dont nous usons jusqu’à l’absurde et qui a presque perdu toute dimension collective.

Donc oui, une prise de conscience collective est indispensable et représente sans doute le principal levier de changement. Et nous avons tous un rôle à jouer, individuel, associatif ou politique, pour favoriser cette prise de conscience… qui commence par la nôtre.
À moins qu’il faille attendre une catastrophe pour nous ouvrir les yeux ?

Vers une société plus riche

Vous pensez que je joue avec les mots et prône une richesse intérieure, un épanouissement personnel par opposition à la satisfaction immédiate de besoins artificiels ?
Vous avez un peu raison dans la mesure où je considère que l’achat du dernier smartphone à la mode, d’une nième veste branchée ou de tout objet futile apporte une satisfaction proche de celle que doit éprouver un junky qui vient de se faire un shoot.
Mais ce n’est pas tout à fait mon propos.

Nous vivons dans une société optimisée, rabougrie qui perd progressivement toute marge de manœuvre, qui perd la capacité de choisir son futur. Nous sacrifions par exemple l’éducation sur l’autel de l’économie. C’est évidemment une absurdité puisque l’éducation est un remède contre les dérives totalitaires et complotistes, qu’elle favorise la transition démographique et que nous aurons de plus en plus besoin de talents pour gérer les problèmes à venir.

La richesse (matérielle) individuelle a été un moteur de croissance formidable, sans doute l’une des principales fondations du capitalisme. Sans aller jusqu’à la supprimer ou prêcher un partage strict des richesses sur un mode soviétique, n’est-il pas temps d’envisager un rééquilibrage en faveur de la richesse collective ?

La société doit être puissante pour mener les actions lourdes qui seules pourront infléchir notre trajectoire actuelle. Et l’individu sans dimension collective n’est pas grand-chose.

Et l’écologie dans tout cela ?

L’écologie (au sens viser à un meilleur équilibre entre l’humain et un environnement naturel qu’il faut préserver) embrasse un champ tellement large qu’il est difficile de s’y retrouver et elle ne porte pas encore de façon suffisamment explicite certaines notions critiques :

La notion d’urgence, or urgence il y a (ne devrait-on pas parler de vélocologie, l’écologie agile qui doit aller vite et non l’écologiste qui fait du vélo ?).

La notion d’irréversibilité pourtant présente depuis toujours dans l’évolution de notre société.
Pensez à la mégafaune, aux forêts primaires, à ce drôle d’oiseau appelé le dodo.

Et surtout la notion d’efficacité. Les colibris ont de grandes vertus pédagogiques, mais comme pompiers, ils sont nuls. Il ne s’agit plus de nous acheter une conscience, mais d’agir.

L’écologie doit être vivante, se réinventer lorsque nécessaire. Il est normal que celle de René Dumont qui visait dans les années 70 un retour à la normale ne soit plus tout à fait la nôtre.

Aujourd’hui l’écologie doit selon moi se focaliser sur trois missions :

  • Sensibiliser tous les acteurs
    L’écologie doit nous convaincre, le plus objectivement possible et non sur un mode idéologique sujet à des modes, pour que nous modifions notre vision et nos habitudes.
    Elle doit éduquer, fournir des outils qui permettent facilement aux citoyens, aux entreprises et institutions de prendre des décisions écologiquement sensées : quel est l’impact environnemental de tel achat, telle lubie ou telle destination touristique ?
  • Agir sur des leviers significatifs pour atténuer les chocs à venir
    Cela passe par la politique (et la société doit disposer de moyens), la mobilisation des entreprises qui font, que cela nous plaise ou non, partie intégrante de notre système.
  • Nous préparer aux changements qui sont désormais inéluctables
    La collapsologie peut nous y aider, mais si pour commencer nous étions plus agiles, moins attachés à nos certitudes et à notre confort et plus solidaires ? Vaste domaine à défricher.

Demain que faisons-nous ?

Nous adhérons à une secte survivaliste, pour apprendre à nous servir d’armes, construire un bunker et stocker 3 mois de nourriture pour faire face à une éventuelle catastrophe qui s’étalera sur des années ? Au risque de crever de faim, d’ennui et de consanguinité ?

Nous rejoignons la collapsologie qui nous raconte une belle dystopie et nous incite à nous y préparer en multipliant les expériences, les relations, les solidarités, en développant une connaissance des catastrophes et des traumatismes associés, en insistant sur le spirituel ?
Cela ne peut pas nous faire de mal mais quid du présent ? La collapsologie ne doit pas devenir une forme de survivalisme bobo.

Nous cherchons des responsables : le capitalisme, les politiques, les boomers, l’autre ? Nous cherchons un sauveur que nous rendrons plus tard responsable de nos échecs ?

Non, admettons une bonne fois pour toutes que nous vivons dans un système complexe dans lequel nous sommes tous interdépendants et que s’il tombe, ce qui n’est pas exclu, nous tomberons aussi, ensemble. Nos actions doivent infléchir le futur, mais nous devons rester humbles, accepter d’agir en étant myopes et être prêts à remettre l’ouvrage sur le métier aussi souvent que nécessaire. Soyons simplement sincères, vigilants et agiles.

Nous devons mener des actions efficaces et arrêter de nous gargariser avec des mesures et des comportements qui, hors vertus pédagogiques, n’ont que des effets epsilonesques.

À mon sens la vulgarisation de cette démarche fait aussi partie des missions de l’écologie d’aujourd’hui.

Conclusion

Ce texte résume, de façon pas toujours très linéaire, ma perception de la situation et ma conception de l’écologie qui sans doute évolueront au gré des rencontres et des situations.

Un constat sévère, mais sans fatalisme, raison pour laquelle je suis engagé dans l’association Chaville Écologistes.
Mon côté colibri ?

Patrick Sommacal
Président de l’association

 

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