Ancienne carte postale de la mairie de Chaville
Gilbert Guislain nous propose une belle histoire politique de Chaville, bien documentée qui devrait nous aider à y voir plus clair, nous qui tentons d’infléchir le futur en distillant dans le présent écologie et démocratie participative.
Ne dit-on pas que  » Pour prévoir l’avenir, il faut connaître le passé  » ?

Élections municipales des 8 et 15 mars 1959

Gabriel Ausserré, initialement employé de la RATP – ex TCRP – maire SFIO déjà actif depuis longtemps à Chaville avant-guerre, et syndicaliste FO a trois adjoints à l’époque : Joseph Fillatre (boulanger) 77 rue Albert Perdreaux, qui quittera G. Ausserré dans les années 60, Angèle Zedet (MRP) 36 rue de la Passerelle et Georges Bossez (MRP également) habitant rue Lamennais dans le quartier de l’Ursine, quartier populaire et champêtre, comptant dans les années 1920 et suivantes des immigrés italiens et arméniens, contribuant à la tradition de diversité sociale chavilloise. Chaville est alors une ville populaire, de maisonnettes, moins aisée que Viroflay ou Sèvres, L’habitat ouvrier du bas Chaville, fait de petites constructions de trois étages au plus, loge des travailleurs de Renault Billancourt, de Gévelot à Issy ou du quartier de Bellevue à Sèvres ou de la brasserie La Meuse, toujours à Sèvres. Chaville a connu une longue tradition municipale radicale avant-guerre.

C’est après 59 que la situation municipale de l’équipe Ausserré, SFIO plus MRP, deviendra très stable. En revanche, les années 47 (départ d’un maire communiste) à 55 (démission du Colonel Huttepain, RPF, maire depuis 1947) sont plutôt instables, faute d ’une majorité nette. En 1947, Henri Berland, maire communiste, avait entrepris de restaurer une situation matérielle satisfaisante à Chaville, dans le domaine de la voirie et de l’approvisionnement. De 1953 à 1959, le conseil municipal (Conseil Municipal) compte 11 PC, 6 conseillers de droite, 5 MRP et 5 SFIO, G. Ausserré faisant l’arbitre. Les comptes rendus des conseils municipaux attestent de la longueur et de la véhémence des débats ente SFIO et PC La vie municipale est marquée par certaines figures comme Olivier (SFIO) ou Maurice (MRP). La séance du CM du 7 mai 1953 est très longue et agitée, le conflit est net entre G. Ausserré et le PCF. Le colonel Huttepain, maire de 1947 à 1955, et ancien militaire, administrateur colonial, est jugé « incompétent, réactionnaire » et anti laïque par le PCF. G. Ausserré ne veut faire aucune concession au PCF vu les critiques permanentes de ce dernier contre la SFIO. Les allusions aux années 1934-1935-1936 encore proches dans les mémoires interviennent dans le débat. Dans les années 50, le contexte de la guerre froide est présent et oriente les positions de chacun. Des communes aujourd’hui à droite sont communistes hors même la « ceinture rouge » de Paris.

Gabriel Ausserré souhaite diriger sans les communistes et les gaullistes, longtemps faibles à Chaville et qui n’émergeront sérieusement qu’en 1971. Il s’adosse au MRP, influent à Chaville au début des années 60 avec Jean Gavrel, ingénieur, Serge Vion, Marcel Houlier, Monsieur Ravous – son fils était servant de messe – actifs au sein de la paroisse.

Aux municipales de 59, au premier tour, le PCF (liste union ouvrière et démocratique) obtient 2189 voix, soit 32 %. Le PC à Chaville, commune au caractère populaire assez marqué, est mené par Fred Bicocchi, né en 1927, typographe journaliste et jeune conseiller à la Libération et Imont, du quartier de l’Ursine, qui écrit souvent à G. Ausserré pour qu’il intervienne auprès des pouvoirs publics au sujet des tarifs des transports, au bénéfice des travailleurs. Elle compte aussi Gérard Faucheux et Pallavicini. La liste Ausserré SFIO-MRP obtient 2552 voix soit 37 % (les MRP étant placés en tête par les électeurs vu le panachage possible). Une liste intitulée Union démocratique et sociale dans le style « nouvelle gauche » de Conneau Symours – président de la MJC – avec Georges Berthe (PSU) obtient 546 voix – soit 8 %. Elle se désiste pour le PC au second tour. Le total PC-PSU atteint 40 %. Conneau Symours écrivait dans le journal paroissial Pierres vivantes dont Pierre Proust, ancien conseiller municipal de G. Ausserré, jusqu’en 1971, possédait la collection – selon l’ information du Père de Woillemont – ex curé de Chaville jusqu’en 2011. Cette collection de Pierres vivantes serait intéressante à relire au moment ou dans les années 1950-1980, l’Église entend porter partout son message par la diffusion de ce bulletin. La liste Conneau Symours (PSU-PSA) avec Georges Berthe de la SNCF, Pierre Schaeffer et Roland Bouton, prof de CEG, est intéressante en ce qu’elle exprime et préfigure un renouvellement de la gauche moderne dans un sens anticapitaliste et anti-monétariste, car le plan Pinay Rueff est contesté – et surtout anticolonialiste alors que la SFIO est bien plus ambiguë sur ce plan, attachée comme Guy Mollet a la « civilisation » par la colonisation française. Il en va de même pour les radicaux de Felix Gaillard, président du conseil au début de 1958 et dont l’INA a conservé des archives d’entretien consultables sur Internet. Cette liste « nouvelle gauche » conteste G. Ausserré et sa « coalition de l’immobilisme » ainsi que la droite de Lachaud, et se pose dans un tract comme l’expression d’une nouvelle vague, contre les « vieux chevaux de retour ». Quant aux feuilles électorales, aux journaux en quatre pages de G. Ausserré ils mettent l’accent sur sa politique sociale, l’ampleur de ses réalisations et de ses projets dans le domaine des écoles et du logement social, des cités Emmaüs, Clémency et d’autres, pour rénover l’habitat vétuste du Bas-Chaville. Enfin, une liste de droite obtient 1452 voix soit 21 %, nous en parlons ci-dessous. Au second tour la liste SFIO MRP obtient 4100 voix en moyenne voix, le PC 2579 voix en moyenne.

Nous sommes dans le contexte de la guerre d’Algérie et l’on lit dans les archives des télégrammes de soutien, de loyalisme du CM aux autorités gaullistes à l’occasion des barricades d’Alger (janvier 1960) et du putsch des généraux (avril 1961) Le PCF veut « barrer la route à la réaction et au fascisme » et met en cause le rôle de la « police au service du régime ». Une liste de droite, de défense des intérêts communaux obtient 1452 voix avec Jean Lachaud (45 ans, ancien résistant) qui figurera plus tard dans le comité de soutien à Claude Labbé comme Georges Bonneterre, Georges Bondis, Cunéo d’Ornano, (38 ans en 59) et Elisabeth Terrenoire. Cette liste gaullistes-CNI-indépendants entend limiter les impôts locaux et prône l’ « honnêteté politique », une position dite non partisane, sans grande référence au contexte national. La liste Lachaud n’obtient que 21 %, celle de Conneau Symours- Schaeffer 8 %, le PCF 32 % et la coalition Ausserré SFIO -MRP 37 %.

Les années 59 -65, âge d’or du « règne » de Gabriel Ausserré à Chaville

Ce sont aussi celles des fêtes du Muguet, (fêtes populaires avec chars, défilés et fanfares, catch, revue de mode) financées par l’union des commerçants achevées en 1967 au profit d’une kermesse commerciale. Le cout de ces fêtes mais surtout les exigences financières de la rénovation du Doisu sous la tutelle d’une société d’économie mixte vont plomber l’équilibre financier de la ville. G. Ausserré est entouré de conseillers SFIO comme Girardin, Papazian ou Castang, mais l’influence MRP croît avec Jean Gavrel, Pierre Proust, Fernand Pointeau, Jacques Peltier et Marcel Houlier, électronicien né au Havre en 1923 et devenu sixième adjoint en 1968, tous pour la plupart des jeunes actifs au sein de la paroisse. On note la présence, comme conseillère municipale, de Rose Anne Pestre -née à Oran le 24 Juillet 1931, épouse d’un général d’armée de l’air, et membre des Républicains indépendants. Elle deviendra plus tard adjointe de Marcel Houlier dans les années 1980, tentera de gagner en ascendant politique et quittera l’équipe Houlier ensuite ; elle tentera de jouer un rôle au RPR dès 1975-1976, étant en contact avec Alain Juppé. Elle créera des listes sans jamais l’emporter aux municipales.

Élections municipales de 1965 et de 1971

Celles de 1965 voient s’affronter une liste du PC (union démocratique) qui obtient 2317 voix au second tour, la liste URAM de G. Ausserré qui l’emporte (3320 voix au second tour avec les MRP en tête), au total, 11 SFIO et 15 MRP. La liste de droite GRAM obtient 1686 voix au premier tour et 1263 voix au second tour, 400 voix s’étant reportées sur G. Ausserré au second tour. Le GRAM sur une ligne en fait plus politique que la liste de droite de 1959, même s’il se dit apolitique. Sa liste comprend Lachaud, Fillatre ancien soutien d’Ausserré, qui le taxe alors de « renégat », Robert Serrero, rapatrié d’Algérie et Jean Mane, qui sera de nouveau candidat en 1971 sur la liste Houlier. La feuille électorale du GRAM est titrée l’Espoir, ses candidats veulent réduire les dépenses d’une commune jugée endettée, dépolitiser les municipales -tout en critiquant la dépolitisation de la jeunesse-. Dans un article signé Edith Aurial (!) elle dénonce tout retour au Front populaire, et oppose l’idéal chrétien à la coalition jugée contre nature de la « très laïque » SFIO et des « bien-pensants » du MRP. Elle rappelle que le père Legros, curé de Chaville de 1943 à 1962, constructeur du nouveau presbytère, décédé en 1962 dans un accident de voiture (2 CV ou 4 CV) pour éviter un piéton ou un cycliste, avait encouragé l’alliance SFIO-MRP dans les années 50, le MRP étant alors amené à prendre de l’influence, et, à terme, la Mairie. Ceci a été confirmé par le père Michel Rinneteau, actuellement retraité à Versailles, vicaire du père Legros puis du chanoine Letellier : le même article dans l’Espoir du GRAM souligne l’effacement politique de ce dernier. L’article juge les jeunes MRP comme Georges Bossez plus dynamiques que les anciens SFIO de l’entourage de G. Ausserré. Quant au PC en 1965, il conteste toujours l’alliance SFIO-MRP ou UNR camouflés. Le journal imprimé à l’ancienne, l’Espérance de G. Ausserré, organe local de la SFIO, présente l’étendue du bilan municipal du maire sortant. G. Ausserré dénonce au passage l’asphyxie financière des communes et la « démagogie » du PC.

En 65, avec 41 % des voix au second tour (3320 voix) G. Ausserré est mieux réélu qu’en 59 (37 %). Le PC se maintient autour de 30 % (2317 voix), le GRAM obtient 1263 voix en moyenne. Les gaullistes restent faibles à Chaville, de nombreux modérés soutiennent l’équipe Ausserré – Bossez – Zedet, et le PC se maintient. Le conflit se tend en 1970 et 1971 entre G. Ausserré et Marcel Houlier, qui est évincé du bureau municipal. L’affrontement idéologique postérieur à 68, la bipolarisation politique va mettre fin à la coalition socialo-centriste qui avait très longtemps géré Chaville. Marcel Houlier va jouer une carte pseudo apolitique avec le GEHSAC, dit groupe des 15, comportant des dames de la paroisse, et bénéficier des retombées électorales d’un embourgeoisement relatif de la commune, lié à l’immobilier résidentiel de prestige. Il met en retrait son appartenance au centre démocrate, même s’il soutient ensuite activement Giscard en 1974. Il inclut dans sa liste quelques républicains indépendants et surtout neuf UDR dociles dont son futur adjoint Jacques Germain, âgé de 48 ans en 1971, ancien de l’ENFOM et responsable des scouts de France et Jacques Chauvin, Ludovic Bert, Paul Aurat L’équipe est entièrement nouvelle, assez jeune et met en avant une argumentation électorale bien plus élaborée que celle du GRAM qui ne jouait que sur la critique des impôts et l’apolitisme. Il est vrai que Marcel Houlier avait déjà été aux affaires comme adjoint de G. Ausserré. Dans un tract polémique en 1971 M. Houlier récupère à son profit des déclarations du PCF contre G. Ausserré « ayant tourné sa veste » en s’alliant avec la droite, et d’autres propos des années 60 ou G. Ausserré conteste le PC alors qu’il s’allie maintenant avec lui pour gagner en 1971. Dans la décennie 1971- 1980, les gaullistes chavillois resteront totalement soumis aux centristes et aux giscardiens, et présenteront en 1977 neuf candidats plus âgés que ceux de 1971. En 1971, face à Marcel Houlier, G. Ausserré, bénéficie du soutien écrit de ses plus anciens associés MRP (Bossez, A. Zedet, R. Hincker) qui ne se représentent plus. Il crée une liste dite Action-Progrès-Démocratie avec neuf communistes dont Fred Bicocchi, Colette Lorin, Huffschmitt, neuf personnalités de gauche et neuf socialistes. Résultats : G. Ausserré perd la mairie le 14 mars 1971 avec 3192 voix. Chaville Renouveau – qui deviendra Chaville Progrès en 1977 – l’emporte avec 3593 voix, avec les centristes en tête des résultats panachés. Certains chavillois ont contesté l’alliance PC-PS, contribuant à l’échec électoral de G. Ausserré.

La retombée chavilloise de la mue de la « vieille » SFIO, de la FGDS en nouveau PS est sensible avec l’arrivée de jeunes : JC. Dieuset (28 ans), Escande, J. Rivier (30 ans), Alain Defremont, Jean Prince, Descans (vétérinaire âgé de 33 ans) ou de plus anciens comme Girardin, de l’équipe sortante – comme Dreno (53 ans) – qui métamorphosent alors complètement la gauche tant dans ses contenus argumentaires que dans ses moyens d’action : tracts ronéotypés, affichages, nouveau logo de la rose au poing. Face à Claude Labbé en 1973 qui avait lui-même succèdé à René Leduc, député UNR et ex maire de Meudon, le PS présente Neuville, un jeune candidat. Après l’UDR, le RPR n’effectuera un rajeunissement politique de manière décisive qu’avec l’arrivée sur le devant de la scène politique de Chirac en 1976-1977. L’UNR était resté surtout un parti d’électeurs, comme l’avait montré Jean Charlot, professeur à l’IEP dans ses études sur le gaullisme. Elle était également un parti de cadres voire de notables et, trop accessoirement, de militants, même si le RPF avait été après-guerre « le métro à six heures du soir » disait Malraux. L’UDR devient plus militante dès 1975 après l’élection de VGE et la perte du pouvoir par les gaullistes ; elle se structure en sections, en comités de circonscription, fédéraux et organise des réunions de formation Ses affiches orange et bleu apparaissent à Chaville en 1974, un peu avant la « prise » de l’UDR par Jacques Chirac.

Vient ensuite le long règne de Marcel Houlier (1971-1995) avec quatre mandats successifs, où il fut secondé par Jacques Germain, Rose Anne Pestre, puis Philippe Cuignache. En 1977, Le PC et le PS présentent des listes distinctes dans les années 1983, 1989 à 1995 (élection de Jean Levain avec l’arrivée d’une gauche modérée, avec AGIR, en phase avec Chaville mais perdant la mairie en 2008 dans le contexte d’une triangulaire) et jusqu’en 2002, en 1989 et en 1995, les municipales chavilloises furent caractérisées par une inflation des listes de droite, jusqu’à trois listes, au gré des intérêts et des ambitions. Une part de proportionnelle relative fut introduite aux municipales, sans permettre l’entrée des élus FN de Sophie Brissaud au CM, ses résultats plafonnant à 8 ou 9 %.

Cette brève histoire montre le caractère ouvert du jeu municipal à Chaville, qui n’a jamais été le reflet strictement conforme des rapports de force politiques nationaux. Aux présidentielles, le centrisme y a été assez fort (en 1969 : Poher 2554 voix, Pompidou 3665 voix ; en 1974 quasi égalité entre Giscard 5000 voix et Mitterrand 4967 voix), et le gaullisme jamais très dominant (19 décembre 1965 : De Gaulle 4489 voix, mais Mitterrand obtient 4261 voix et Lecanuet 1342 voix au premier tour), même si certains résultats furent nets (1981 : Mitterrand 5365 voix, VGE 5175 voix ; 1988 Mitterrand 4784 voix, Chirac 5068 voix et en 1995, Chirac l’emporte devant Jospin).


Gilbert Guislain Professeur de lettres et de culture générale, chavillois depuis 1958
 

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